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samedi 8 avril 2017

rétrospective Kurosawa ( 7) - l'Ange Ivre (1948)

Comme l'an dernier, je n'arrive pas à voir les films dans l'ordre chronologique, mais tant pis.
Je parlais donc précédemment de "Vivre", avec Takashi Shimura dans le rôle principal, bureaucrate ramolli par sa vie morne.
Sa prestation ici est aux antipodes: le médecin Sanada est énergique, colérique et n'hésite pas à affronter de face les mafieux sans trembler.
Face à lui, l'autre acteur fétiche de Kurosawa, Toshiro Mifune, campe un jeune mafieux qui joue les gros durs en l'absence de son chef, à l'ombre depuis 5 ans, se vante de n'avoir peur de riens mais est terriblement vulnérable face à un ennemi aussi insaisissable que la maladie.
Les deux ont une certaine tendance à abuser de la bouteille, alors qui, du médecin en blouse blanche ou du mafieux en costume immaculé est l'ange?





 ambiguïté entretenue par le fait que seul Mifune soit présent sur l'affiche originale


D'après le dialogue c'est le médecin, ange gardien d'une population miséreuse agglutinée autour d'une mare crasseuse cause de mauvaise santé généralise dans son secteur.
Mais le titre pourrait aussi désigner aussi bien le bandit naïf qui ne se rend même pas compte qu'il n'est qu'un pion pour le parrain local.



Entre ces deux là, les relations sont loin d'être facile: Matsunaga le bandit vient un soir se faire ôter un " clou" de la main. Drôle de clou en vérité que retire sans ménagement le médecin, se faisant un malin plaisir de torturer un peu au passage un membre de la pègre type de gens qu'il considère  à peu près au même niveau que des parasites.


Mais le médecin se rend très vite compte que Matsunaga est avant tout un pauvre type, qui présente les premiers signes d'une tuberculose, et qu'il à beau jouer les durs et prétendre qu'il n'a peur de rien, il est en fait mort de trouille face à la maladie qu'il s'obstine à refuser de soigner par fierté.

Soigner ce patient rétif, ce caïd bien peu taillé pour le milieu ( le bandit profite de son impunité pour piquer régulièrement une fleur sur l'étalage du fleuriste du coin, alors qu'on se doute qu'il pourrait impunément piocher dans des marchandises de bien plus de valeur.. un bandit un peu sentimental quelque part)  et tenter de le remettre sur les rails devient une affaire personnelle pour le médecin, qui voit en Matsunaga une sorte de double plus jeune. Sanada aurait pu avoir la belle vie et un bon emploi dans une clinique renommée, s'il n'avait pas eu une addiction à l'alcool.



Moins intéressant graphiquement que les films de la décennie qui va suivre, mais vaut pour l'étonnant duo d'acteurs, et la peinture de la déliquescence du Japon d'après guerre. Dans un pays ruiné, tout va à vau-l'eau ( et de l'eau il y en a des quantités ici, de la mare croupissante aux déluges qui tombent régulièrement du ciel sur ce coin dont on peine à croire qu'il se trouve à Tokyô) et les bandits font leur loi, tant l'administration est dépassée par les événement ( et on la verra encore tout aussi dépassée dans les films suivants). Les filles passent leur temps au jazz club du coin, à tenter de séduire les plus hauts chefs de la mafia pour se faire offrir de somptueux cadeaux, bijoux et fourrures, que Nanae l'entraineuse de bar entasse de manière absurde dans sa chambre de location miteuse. Le pays est désorganisé et laissé littéralement aux mains de la pègre. Dans ce cadre aussi désolant la relation difficile mais qui se teinte d'une amitié bourrue entre les deux anti-héros que tout oppose tient du miracle.

La transformation physique de Mifune, dandy séducteur aux costumes impeccables et aux nombreux succès féminins au début du film, en pauvre type amaigri , chancelant et maladif qui n'est plus que l'ombre de lui même, mais tente quand même de sauver les apparences,  à la fin est étonnante, quasiment expressionniste.
Au delà du drame personnel des principaux protagonistes, c'est surtout une peinture sociale comme on a pu également en voir en Europe après la Guerre.
Un bon film donc, intéressant, par son sujet et sa critique sociale, les deux acteurs sont excellents, mais il lui manque quelque chose, qui va vite arriver par la suite. Peut-être une ambition, ou une ampleur qui n'est pas encore vraiment là.
Il y a quelques scènes mi-cocasses mi tragiques ( tel cette baston de mafieux qui dérapent dans la peinture et se retrouvent "blanchis" au sens propre), on sent que le réalisateur n'est pas un débutant, mais qu'il n'a pas encore tout à fait atteint son plein potentiel.


L'ange Ivre pâtit aussi du fait que je l'ai vu juste après Vivre, et qu'on y retrouve beaucoup de sujet communs: la maladie, la misère, la lutte d'un individu contre son sort...et que par conséquent, la comparaison n'est pas en faveur du plus ancien des deux. Mais il reste un bon film malgré tout, avec quelque chose de russe là dedans ( ce qui n'étonnera pas puisque pas mal des sujets de Kurosawa sont inspirés de la littérature classique occidentale, et je ne l'avais pas dit, mais Vivre était plus ou moins une transposition de "La mort d'Ivan Illitch" de Tolstoï)

Et je note deux petites remarques du médecin à son infirmière, Miyo: ancienne maîtresse du chef Okada , qui risque de sortir de prison d'un moment à l'autre, elle hésite entre rester cachée chez le médecin ou retourner trouver Okada, qui la cherche et menace le médecin, alors que sa vie est en danger - ça n'est pas précisé, mais j'ai fortement l'impression qu'il est allé en prison parce qu'elle l'a dénoncé ou quelque chose de ce genre. Sanada lui fait d'abord remarquer que hommes et femmes sont égaux , et deuxièmement,  qu'elle n'a pas à se sacrifier, que c'est une mauvaise habitude japonaise.Japon 1948 pour mémoire, on n'est pas franchement dans le pays le plus égalitariste du monde, et le médecin critique une convention sociale très courante.
La censure s'est un peu assouplie avec la fin de la guerre, mais ce n'est que relatif, et on ne m'ôtera pas de l'idée que c'est la critique sociale qui prime sur tout le reste, bien qu'elle n'apparaisse que par métaphore ( la mare ) ou au détour d'un dialogue.


La séance cinéma du vendredi se prolonge le samedi ( parce que j'ai trop de films à chroniquer!)

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