Encore et toujours une production Ghibli, on y revient sans cesse. Celui ci est signé Takahata et n'a été distribué qu'une dizaine d'années après avoir pourtant remporté le prix du meilleurs longs métrage au festival d'Annecy en 1995 (pour ceux qui ne connaissent pas, c'est au minimum l'équivalent du festival de Cannes, mais uniquement dédié à l'animation. Et sans vedettes capricieuses sur tapis rouge).
Pourquoi?
Probablement parce qu'il est un des plus authentiquement japonais, et puise à la source des mythes et légendes japonaises, et donc qu'il faut un minimum de clefs culturelles pour l'apprécier, peut-être.
C'est une histoire fantastique mettant en scène une foule de yôkai, j'en parlais l'an dernier et je continue cette année, et c'est vrai que je l'ai plus apprécié en l'ayant revu après avoir lui " Yokai attack" l'an dernier, et "l'art japonais" cette année, parce que j'ai pu voir les références au bestiaire fantastique ( dans la séquence de grande parade des fantômes), et les références aux estampes célèbres.
deux tanukis déguisés en zasshiki warashi, esprits du foyer à l'allure d'enfants |
Peut être, mais pas que...
Il y a encore l'idée tenace en France que Dessin animé = enfant. d'autant plus qu'il présente des bestioles mignonnes, avec un message écolo sur la destruction de la forêt. Sauf que les bestioles mignonnes sont des tanuki, qui adorent d'une part jouer des tours plus ou moins pendables aux humains, mais j'en parlais dans le sujet dédié aux tanuki yôkai , ils ont quelques particularités morphologiques que les parents seront embarrassés d'expliquer à leurs enfants. Imaginez Mickey, mais avec une énorme paire de roubignoles utilisables et transformables à volonté.
Ha oui, et ce dessin animé sous des dehors bon enfant et rigolo est en fait triste. Il y a des morts et un message plutôt pessimiste le traverse.
Donc dans les années 60, le Japon est en plein boom économique, Tôkyô s'agrandit en grignotant peu à peu les montagnes et forêts alentours où se construisent banlieues et cité dortoir. Sauf que dans ces forêts vivent pas mal d'animaux, et parmi eux, les tanuki, esprits farceurs de la forêt, qui n'aime rien tant que se bagarrer entre eux, et faire la fête. Depuis des siècles, ils ne se sont plus montrés et sont rangés au rang de légendes pour les humains, qui envahissent et détruisent la forêt.
Il va falloir arrêter de se battre entre eux pour faire face collectivement à ce nouvel ennemi. Et sur la manière de mener la lutte, les opinions divergent:
le panneau derrière indique la marche à suivre pour apprendre à se transformer: mettre une feuille sur la tête |
certains sont doués en métamorphose.. |
et il y a Ponkichi, le plus nul de tous! |
Gonta, la forte tête, est le partisan de la lutte armée, l'humain est un ennemi à abattre, s'il faut tous les massacrer, tant pis ( la plupart d'entre eux ne partagent pas cet avis, car en gourmands invétérés, ils estiment que les humains ont apporté beaucoup de bonnes choses: les chips, le poulet frit, les mochi.. que des choses qui se mangent)
Shôkichi, le narrateur, est l'intellectuel de la bande. En bon stratège, il préconise l'approche prudente, car pour faire face aux humains, il faut apprendre à les connaitre, avec leurs points faibles. Pour tenter de les contraindre à partir d'eux même sans recourir à une guerre ouverte qui serait meurtrière des deux côtés.
et c'est aussi le sentimental de la bande, qui ferait tout pour sa petite amie Okyo |
déguisement vraiment très réussi , enfin, s'il s'agissait de faire un cosplay de tortue géniale dans Dragon ball |
Mais la lutte est ardue et les tanuki, campagnards qui vivent encore vêtus à la manière des japonais du XIX° ( kimonos, geta, loisirs et jeux traditionnels, musique ancienne) ne se sont pas adaptés à l'évolution rapide de la société, contrairement à leurs comparses les renards qui ont appris à vivre en ville (eux aussi ont l'aptitude de se faire passer pour humains), travaillent parfois même jusque dans les hautes sphère d'une société à laquelle ils se sont parfaitement adaptés, vivent en costards cravate et disposent même de "bars à renardes" en tout points semblables aux bars à hôtesses humains. Mais les tanuki n'ont pas le cynisme des renards et dans ce jeu de survie ( seul le plus apte à s'adapter peut tirer son épingle du jeu), ils ne partent pas gagnants.
Mais le propos ici, et c'est ce que j'aime dans le fantastique ou la SF intelligente, qui utilise des moyens détournés pour faire passer une critique sociale sévère, n'est pas uniquement de parler de la déforestation et des gentils animaux de la forêt victimes des humains. Il y a de ça, mais c'est aussi les humains victimes des humains dont on parle: l'exode rural, les campagnards vus comme "ringards" condamnés à quitter leur mode de vie traditionnel pour se couler dans le moule suintant l'ennui de la routine citadine: métro-boulot-dodo.
Et quand un tanuki déprimé contraint de se déguiser en modeste employé de bureau regrette sa forêt en se demandant "comment les humains peuvent-ils supporter ça?", c'est complètement un questionnement philosophique sur la violence sociale du conformisme qui transparaît.
Ce film est violent. Pas seulement par les quelques morts, mais par son message sombre: s'adapter pour survivre, mais au prix d'un renoncement à tout ce qui vous constitue en tant que personne. Et renoncer à une partie de soi-même, c'est déjà être plus ou moins mort intérieurement. Les tanukis se font passer pour des humains, mais les humains eux mêmes se font passer pour ceux qu'ils ne sont pas. C'est le prix à payer pour faire partie de la société. A moins d'avoir le courage de rester à jamais un marginal. Ce qui est aussi un prix à payer. Ce qui semblait au départ être une simple fantaisie à base de beuveries et de roustons à l'air se révèle d'une profondeur et d'une subtilité inattendue?
Cette violence est d'ailleurs omniprésente et beaucoup plus chez Takahata que chez Miyazaki. Dans le récent "Kaguya hime", la jeune Kaguya est contrainte de mener une vie qui ne lui convient pas, enfermée dans un palais par ses parents qui "font ça pour son bien", alors qu'elle ne rêve que de courir au milieu des bambous de son enfance.
Et paradoxalement, j'ai trouvé que le Tombeau des lucioles était triste, mais beaucoup moins violent mentalement ( malgré son sujet sur la guerre, la pauvreté, la famine..).
Pompoko ( parfois écrit Ponpoko) est un délice visuel, plein de gags et d'humour.. mais terriblement amer et noir, que ne laisse pas présager le côté potache et un peu je-m'en-foutiste de ses protagonistes.
Graphiquement j'aime bien le fait qu'il alterne entre 3 styles différents: réaliste, lorsque c'est la vision que les humains ont des tanuki qui prime, dessin animé classique la plupart du temps, et complètement stylisé lorsqu'il s'agit de montrer la déroute
Ce que les humains voient |
tous aux abris, c'est la défaite |
ho, mais qui voilà? le Kara kasa! |
Kiki a été invitée |
Totoro et Sheeta du château dans le ciel aussi |
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