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vendredi 7 avril 2017

Rétrospective Kurosawa (6) - Vivre (1952)

Comme je l'espérais, la rétrospective commencée l'an dernier  est reconduite cette année, dans plusieurs cinémas en Franc.
Par manque de temps (créneaux horaires compliqués) j'ai loupé Chien enragé et Le plus dignement , les deux premiers programmés.
C'est donc "Vivre" qui commence cette nouvelle saison ( à ne pas confondre avec "Vivre dans la peur" du même réalisateur)






"Vivre" c'est l'histoire de la vie ou plutôt de la fin de vie de Monsieur Watanabe, sexagénaire, employé de mairie qui n'a jamais rien fait de sa vie, hormis travailler. Ses collègues, mi médusés, mi consternés font remarquer qu'il va bientôt passer le record de 30 ans passés au travail sans jamais prendre un seul jour de vacances. Un travail ennuyeux au possible qui consiste à tamponner des formulaires administratifs à longueur de journée. 
Mais Monsieur Watanabe ne va pas très bien, un souci d'estomac, les médecins lui parlent d'ulcère, mas il a bien deviné qu'il est en fait atteint d'un cancer. Et au Japon en 1950, on ne dit pas le mot cancer, équivalent de "condamnation à mort".On préfère mentir au patient pour qu'il "vive sereinement le temps qui lui reste". et pour monsieur Watanabe, c'est 6 mois , tout au plus.



Alors l'employé modèle, qui commence naturellement par déprimer, va quand même décider d'utiliser à fond le court temps qu'il lui reste.





Et en premier lieu se payer du bon temps, avec un compagnon improvisé, écrivain sans grande espoir d'être un jour reconnu , qui va lui faire faire la tournée des grands-ducs: bars, restaurants selects, pachinko, night-clubs, clubs de strip tease, escort -girls. En 5 nuits, Monsieur Watanabe va rattraper toute la folle jeunesse qu'il n'a pas eu, et depuis qu'il est veuf, sacrifiant son temps et son argent à un fils unique qui ignorant tout, commence à songer à lui emprunter l'argent de sa future retraite.

Après quoi, rencontrant par hasard une employée pauvre de son service qui veut changer d'emploi pour faire quelque chose qui lui plaît vraiment, il va s'évertuer à lui rendre service,àlui faire des cadeaux, de manière envahissante pour la fille qui se demande s'il n'aurait pas un peu le démon de midi. Erreur. Il veut seulement passer du temps avec quelqu'un de jeune et d'énergique, c'est un peu la fille de substitution qu'il veut gâter. A elle, il va pouvoir enfin dire ce qu'il n'a pas pu dire à son fils, qui ne l'écoute même pas.




Laquelle , pleine de bon sens, lui fait comprendre que non seulement son fils ne lui doit rien, c'est monsieur Watanabe qui s'est enfermé seul dans son système. Le fils ne lui a jamais demandé de faire autant de sacrifices.
Mais que plutôt que de s'évertuer à satisfaire une personne, il y a bien UNE chose que lui seul peut faire et..
PAF!
Mort de Monsieur Watanabe. en plein milieu du film. C'est audacieux!
On découvre donc en seconde partie, via les discussions des invités à ses funérailles comment il a réussi in extrémis à donner un sens à sa vie.

Dit comme ça, ça a l'air sinistre, mais étonnamment ça ne l'est pas. Parce qu'il y a une bonne dose d'humour noir et d'absurdité dans le film: tout commence par une délégation d'habitant d'un quartier insalubre qui veulent faire couvrir les égoûts qui empuantissent leur rue, attirent les moustiques et propagent les maladies, pour mettre en lieu et place un parc avec jeux pour enfants.
Les malchanceux sont alors promenés de service en service: accueil, qui les renvoie sur l'habitat urbain, qui les envoie à l'assainissement, qui les envoie au service de la jeunesse, qui décide que ça dépend du service des égouts, lesquels penchent plutôt pour les espaces verts, qui estiment que c'est l'adjoint au maire qui va pouvoir trancher, lequel leur indique de se rendre à l'accueil...

Et cette charge contre une administration incompétente est férocement drôle. On est en 1950, le Japon sort de la guerre dans l'état qu'on connaît, et se retrouve avec un système administratif coincé là où il en était avant guerre: compliqué, vétuste et désorganisé. Ce qui est magistralement rendu par le cadrage - j'ai déjà dit à quel point je considère Kurosawa comme un maître en la matière. Employés étriqués, coincés dans une jungle de dossiers qui s'entassent derrière, à gauche, à droite, débordent des bureaux.
Ces lignes verticales isolent en particulier Monsieur Watanabe, seul avec son secret, seul et parfois flou au premier plan, déjà plus vraiment de ce monde,  avec une mise au point sur l'activité qui se passe derrière, les collègues qui trament pour savoir qui prendra sa place quand le vieux partira en retraite...


Plastiquement en plus c'est superbe. Mais, que ce cadrage est beau!

Épiques aussi, ces funérailles très dignes qui finissent en beuverie généralisée et en charge contre l'immobilisme de l'administration... et en ce qui concerne la conclusion, elle est d'un cynisme et d'une absurdité que j'hésite à qualifier entre réjouissants et consternants.

Mais donc, le film n'est pas triste, puisque le héros, plutôt que de se laisser abattre , cherche à réagir de manière un peu puérile, mais aussi constructive. Plutôt drôle donc et mélancolique aussi à l'image de ce plan où le héros chante une chanson de l'ancien temps dans une boîte à jazz, y mettant tout son coeur, chanson qu'il reprendra plus tard dans un plan saisissant de beauté, un parc sous la neige... et dans un certain sens plein d'espoir.





L'excellente idée que d'avoir pris Takashi Shimura, l' autre acteur récurrent de Kurosawa avec Toshiro Mifune, plus jeune que son rôle de sexagénaire ( il avait 47 ans), de le vieillir pour qu'il ai l'apparence d'un vieux croulant au début.. et de le faire ensuite paraître plus jeune dans la seconde partie, et sur la photo de ses funérailles: l'homme prématurément vieilli dans sa vie étriquée, qui retrouve une seconde jeunesse en apprenant qu'il va mourir et paraît donc réellement avoir rajeuni.

A tel point qu'il a l'air plus vivant sur sa photo de funérailles que pendant tout le reste du film

Un film sur la mort, paradoxalement plein d'espoir doublé d'une charge féroce contre l'administration sclérosée, "momifiée" à l'image du surnom que la jeune femme avait donné à son chef, pleine de paperasses inutiles qui prolifèrent comme autant de métastases. C'est l'administration qui est le vrai malade dans cette histoire.

J'ai adoré. J'ai l'impression de dire ça de chaque film ou presque ( mais un an après je peux dire que parmi la première fournée, ceux qui m'ont le plus marquée, et dont je me souviens le plus vivement, sont le Château de l'araignée, Vivre dans la peur et un cran encore au dessus, Ran, qui était présenté en complément par le cinéma qui programmait les autres.
Je pense que ce Vivre arrivera en bonne place dans mes favoris.
La séance cinéma du vendredi commence avec Kurosawa ( Akira, je précise car un second Kurosawa commence à se faire connaître)

1 commentaire:

  1. J'ai vu ce film il y a des années et j'avais bien aimé mais ce n'est pas de film de Kurosawa qui m'a le plus marqué. Chouette article en tout cas. Ça m'a donné envie de le revoir

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