Attention, méga coup de coeur pour ce roman de Kobayashi Takiji, auteur mort à 29 et dans des circonstances particulières: lors d'un
"interrogatoire" de police.. en clair un gêneur qui a été éliminé.
Et
éliminé en particulier pour des écrits du style du Bateau Usine, qui
met en avant des choses que la société japonaise de l'époque avait
plutôt intérêt à taire, en l'occurrence, l'exploitation des classes
ouvrières par un capitalisme sauvage alors en plein essor.
On
suit donc le quotidien désespérant de une équipe de marins et de
pêcheurs, embarqués sur un rafiot déglingué, vestige de la guerre
Russo-japonaise qui avait eu lieu 10 ans plus tôt. Tous sont constamment
brimés, surmenés, affamés par l'intendant sadique et malhonnête, seul
maître à bord qui tyrannise tout le monde et dirige même le capitaine.
Un passage marquant: l'intendant refuse que le capitaine aille porter
secours à un autre navire de la même compagnie en perdition, au motif
que le temps c'est de l'argent et qu'il est là pour défendre l'intérêt
financier des capitalistes qui le payent, contre lequel la vie de 300
marins n'a aucune importance. Ni leur santé ( au passage, faire
travailler les malades à la fabrique de conserve jusqu'à ce qu'il en
meurent démontre aussi le non-respect du consommateur, les futurs
cochons de payants qui vont consommer les boites d'un produit de luxe
payé à prix d'or, ainsi que l'empereur du Japon qui va déguster du crabe
préparé par des ouvriers qui ont droit à une douche tous les 15 jours).
Soigneusement
sélectionnés pour leur ignorance totale du syndicalisme et leur inertie
globale plutôt que pour leur expérience professionnelle, entassés dans
une soute sobrement surnommée "le merdier", les ouvriers, les
machinistes les pêcheurs n'ont même pas l'idée de se révolter. Mais un
incident va leur donner l'impulsion nécessaire: une barque en perdition
échouée sur les côtes russes, des marins qui découvrent stupéfaits que
la Russie et le communisme n'ont rien à voir avec le bourrage de crâne
officiel au sujet de la " propagande rouge". mais les choses sont
longues, très longues à se mettre en place, dans ce roman très court. La
pression monte du côté des ouvriers, l'intendant est de plus en plus
ignoble, l'affrontement final est inévitable.. et dérisoire: les
ouvriers veulent seulement déposer une pétition - quand le lecteur , moi
en tout cas - espère un bon gros massacre de l'intendant, on n'est plus
à ça près!
L'auteur, venu des classes aisées, a
découvert le syndicalisme un peu par hasard et pris fait et cause pour
les sans grades dont il se fait porte-parole. Son roman est basé sur des
faits réels: les rafiots complètement rouillés, les traitements
inhumains faits aux travailleurs, les vols entre navires pour augmenter
artificiellement sa productivité auprès de l'armateur, les pots-de-vins
aux militaires, tout cela n'a pas été inventé mais sort d'une enquête
minutieuse menée auprès des prolétaires de Hokkaïdo. On y trouve
également quelques informations très intéressantes sur les suites de la
guerre Russo-Japonaise, bref, c'est passionnant - même si Zola parait
optimiste à côté.
Un détail intéressant à signaler: le
livre a été publié initialement en 1929, donc en pleine période de crise
économique, et est ressorti au Japon en 2008, donc en pleine période de
crise, avec un succès tel que le terme "kanikôsen" ( le titre en
japonais), est devenu synonyme de "travail pénible et /ou précaire et/ou
mal payé", signe que les classes défavorisées du Japon actuel, celles
dont comme par hasard on ne parle jamais car ça ferait désordre de
reconnaître que le chômage et les baitô vont croissant ( petit travail
d'appoint réservé en théorie aux étudiants mais de plus en plus occupé
par des travailleurs précaires). Bref, passionnant.
Je vois que l'auteur a écrit un seul autre titre: "le propriétaire absent", sur la politique économique et ses répercussions sur les paysans d'Hokkaido, pas encore publié en France, cependant. Je vais surveiller si les éditions Yago, après le Bateau-usine, publient le second à l'avenir.
Et bien...plutôt intéressant...un titre que tu peux me mettre de côté la prochaine fois qu'on se voit...Allez, je me prépare pour mon escapade britt!
RépondreSupprimerHa celui là je ne l'ai pas , c'était un emprunt à la médiathèque, désolée!
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