Le fleuve en question, c'est le Sumidagawa qui traverse Tôkyô. A l'est se trouvent les quartiers populaires, anciens villages peu à peu grignotés par la grande ville :Mukôjima et Terajima, habités par les ouvriers et Tamanoi, le quartier des prostituées.
C'est dans ces endroits là, en 1936, que déambule Ôe Tadasu, écrivain sexagénaire à la recherche d'une inspiration pour finir le roman qu'il a commencé d'écrire: son héros a fui une vie maritale ennuyeuse après 20 ans de mariage et l'auteur envisage de le faire se cacher dans une de ces banlieues en compagnie de sa maîtresse entraineuse de bar. Mais l'auteur sèche un peu pour conclure une histoire que lui même trouve assez peu crédible.
L'inspiration lui viendra suite à la rencontre fortuite d'O-Yuki, prostituée des bas quartiers qui s'incruste un soir de pluie sous son parapluie. Tadasu se prend au jeu et revient la voir, pas tellement pour les plaisirs qu'on peut trouver avec une prostituée, mais plutôt parce qu'O-Yuki a un style un peu suranné, qui lui rappelle le temps passé. Car le vrai souci de Tadasu, c'est qu'il a du mal a accepter le changement, la mutation de la ville: il n'arrive pas à rester chez lui, car le son des radios et phonographes de ses voisins l'empêche de travailler. Le quartier où vit O-Yuki étant assez miséreux, la modernité ne s'y est pas encore vraiment implantée. Et même si le canal qui y passe est crasseux et infesté de moustiques, on y est tranquille, dans le silence.
J'ai moins aimé ce texte que Scènes d'été, on y est plus dans la description des promenades de l'auteur en panne d'inspiration et de ses regrets du temps passé que dans le réel récit que pourrait laisser présager le titre. Dans le fond, l'histoire n'est pas si singulière que ça.
Mais plusieurs choses m'intéressent. L'auteur comme son personnage évitent la police: Tadasu a déjà été interpellé une fois un soir, un homme des beaux quartiers dans ce lieu populaire paraissant d'emblée louche à une police qui semble sur les dents. On est à l'été 1936, et on sent déjà que quelque chose couve, les gens se soupçonnent, la situation n'est pas tranquille. Des choses se passent notamment du côté de la Mandchourie et le pays vient de connaître une tentative de putsch au mois de février
La mise en abîme est sympathique: C'est Nagaï Kafû, écrivain sexagénaire et viveur notoire, qui raconte l'aventure de Ôe Tadasu, écrivain sexagénaire et viveur notoire, qui raconte l'histoire d'un sexagénaire en fuite avec une prostituée. L'auteur, son personnage et le personnage de son personnage sont tous des gens en marge de la société. Et souvent, les pistes se brouillent, on ne sait plus trop lequel s'exprime de Nagai ou de Ôe. Le livre de Nagai se passe en 1936 et a été écrit en 1936, et fait référence à des événements contemporains, ou à des gens qu'il a personnellement connu. Personnellement, j'aime bien cette espèce de dédoublement.
Tôkyô années 30, une image trouvée ici |
La troisième chose qui m'interpelle, c'est le fait que le sexagénaire de 1936 (je vous laisse choisir lequel de l'auteur ou du personnage) regrette le passé et tente d'en retrouver des traces dans son époque. Et trace un portrait d'une ville.. qui n'existe déjà plus pour le lecteur du XXI° siècle, et que donc, sa déambulation et sa critique du Tôkyô des années 30, ressuscite involontairement le Tôkyô des années 30, où, même si les traditions se perdent, on peut encore croiser des femmes en kimono et geta coiffées d'un chignon sophistiqué qui croisent des "modern-girls" équivalent japonaises des flappers américaines ou des garçonnes en France.
En tout cas un auteur que je lirais à nouveau si j'arrive à mettre la main sur d'autres ouvrages, la bibliothèque de ma ville est assez pauvre en ouvrages japonais non contemporains.
Excellent commentaire de ce petit livre, qui resume bien ses aspects essentiels.
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