17 mai, c'est la journée journée de lutte contre l'homophobie, et j'ai le sujet parfait pour ça!
Que voilà un étrange manga, absolument pas tout public. Issu d'un webcomic a visée cathartique, l'autrice ne nous cache rien de son mal être: attention on va parler de comportements auto destructeurs, de dépression, de maladie mentale, de mutilations, de prostitution, de sexisme...
Car le problème de l'héroïne c'est de se sentir incomprise. Mais elle ne se comprend pas elle même ( et la raison de cette incompréhension est expliquée en notes de fin, qui présentent la situation des minorités LGBT dans le Japon contemporain).
Nagata est anorexique/ boulimique, incapable de garder un travail longtemps car elle sombre vite dans des crises d'angoisse.. Elle voudrait que ses parents la comprenne.. mais ne trouve jamais le courage de leur parler franchement. Et leur parler de quoi? De ce qu'elle est? Elle-même ne le sait pas, car elle se refuse tout plaisir physique, à commencer par manger. Elle s'estime ne pas a voir le droit au plaisir quel qu'il soit. Pour trouver une raison a sa souffrance, elle commence à se scarfier: une blessure visuble est une raison légitime de souffrir, quand un mal être psychologique, donc invisibile, ne lui semble pas une souffrance valide. Là, au moins, dit-elle, elle a une vraie raison d'aller mal.
Et pourtant elle a un désir secret: elle veut qu'une femme plus âgée la câline.
Car ce que Nagata ne s'avoue pas c'est qu'elle est lesbienne, et s'en punit plus ou moins consciemment.
La déclic qui va la faire changer et la pousser à s'accepter est double. Premièrement un entretien d'embauche, où elle évoque son hobby: dessiner. Elle n'est pas retenue, mais la dame qui lui fait passer l'entretien lui dit clairement: " vous n'êtes pas la même, vous êtes bien plus vivante quand vous parlez de dessin, continuez dans cette voie, donnez tout". Ce soutien involontaire de la part d'une inconnue lui fait prendre conscience qu'il n'y a pas beaucoup de solutions: elle seule peut faire changer la situation qui lui déplaît.
La seconde étape cruciale est la découverte de services de prostitution lesbiens. Après tout, pourquoi pas, organiser un rendez-vous est facile, rapide, discret via une application... et même si son premier rendrez-vous ( et de fait sa première expérience sexuelle) est un fiasco, c'est aussi un pas vers l'acceptation. Elle est lesbienne, elle a le droit de l'être, même dans une société qui préfère ignorer leur existence.
Car au delà du sujet LGBT, c'est aussi la place des femmes dans la société japonaise qui est évoquée: le rôle traditionnel qu'on attend encore d'elle, la quasi-obligation d'arrêter de travailler quand on se marie et qu'on a un enfant, qui conduit à la spectaculaire baisse de natalité actuelle, puisque les femmes préfèrent rester célibataires sans enfant, que de devoir dépendre d'un mari, parfois encore choisi par les parents, ou par défaut. Mais paradoxalement la prostitution ( des femmes et des hommes, parfois d'individus très jeunes et pas encore majeurs) y est répandue, au vu et su de tous ( j'ai vu de mes yeux de jeunes garçons et filles, des escorts, le soir en pleine rues de Tokyo faire la publicité d'un bar à hôtes ou à hôtesses), mais.. il ne faut pas en parler. Les magasins multicolores de préservatifs on pignon sur rue, mais les informations sur la prévention des IST et des grosses non désirées est proche du zéro.
Et plus généralement, il y a l'idée ( et c'est pareil en Russie ou en Hongrie) que si on ne parle pas d'homosexualité, ça détournera les jeunes de ces comportements, puisqu'ils ne sauront pas ce que c'est. Pire, en parler est considéré comme faire la promotion de comportements déviants et passible de prison dans certains pays.
L'hypocrisie sur ces sujets est énorme. Au Japon, elle n'est pas passible de prison, mais dans une pays où un proverbe dit " les clous qui dépassent appellent le marteau", tout comportement dans soit peut différent de celui attendu est socialement sanctionné. Les choses évoluent peu a peu mais en clair, un employé peut être mis au placard.. pour en être sorti!
Car le Japon n'est vraiment pas un pays où la différence est acceptée, et la différence même souvent à la marginalisation. Ici on parle du cas des Toyoko Kids ( attention, images violentes de bras scarifiés ou de jeunes ivres morts), adolescents désocialisés, rejetés par leurs parents, et qui n'ont souvent pas d'autre choix que la mendicité et/ ou la prostitution. Parce qu'ils sont différents, parfois atteints de maladies mentales (qu'on préfère cacher ou ignorer plutôt que de soigner), et n'arrivent pas à se couler dans les attentes d'une société hyper rigide où c'est "marche au même pas que les autres ou crève". Je suppose que bon nombre d'entre eux sont également des membres de la communauté LGBT mis à la porte par leur famille.
Le manga a d'ailleurs des suites.. que ne semblent pas franchement plus joyeuses que ce premier tome, mais qui ont le mérite d'aborder de front les problèmes sociaux: Boire pour oublier ma solitude, Journal de ma solitude, Solitude d'une guerrière errante. Je vais clairement m'y intéresser si je les trouve!