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samedi 17 mai 2025

Solitude d'un autre genre - Kabi Nagata

17 mai, c'est la journée journée de lutte contre l'homophobie, et j'ai le sujet parfait pour ça!

Que voilà un étrange manga, absolument pas tout public. Issu d'un webcomic a visée cathartique, l'autrice ne nous cache rien de son mal être: attention on va parler de comportements auto destructeurs, de dépression, de maladie mentale, de mutilations, de prostitution, de sexisme...

le graphisme est inhabituel, plus proche de la BD indé.
Le sens de lecture aussi est européen. Un tel sujet ne pouvait pas vraiment être édité directement dans une maison d'édition normale, et c'est son succès sous forme de webmanga qui a fait qu'il a fini par être édité



Car le problème de l'héroïne c'est de se sentir incomprise. Mais elle ne se comprend pas elle même ( et la raison de cette incompréhension est expliquée en notes de fin, qui présentent la situation des minorités LGBT dans le Japon contemporain).
Nagata est anorexique/ boulimique, incapable de garder un travail longtemps car elle sombre vite dans des crises d'angoisse.. Elle voudrait que ses parents la comprenne.. mais ne trouve jamais le courage de leur parler franchement. Et leur parler de quoi? De ce qu'elle est? Elle-même ne le sait pas, car elle se refuse tout plaisir physique, à commencer par manger. Elle s'estime ne pas a voir le droit au plaisir quel qu'il soit. Pour trouver une raison a sa souffrance, elle commence à se scarfier: une blessure visuble est une raison légitime de souffrir, quand un mal être psychologique, donc invisibile, ne lui semble pas une souffrance valide. Là, au moins, dit-elle, elle a une vraie raison d'aller mal.

Et pourtant elle a un désir secret: elle veut qu'une femme plus âgée la câline.
Car ce que Nagata ne s'avoue pas c'est qu'elle est lesbienne, et s'en punit plus ou moins consciemment.
La déclic qui va la faire changer et la pousser à s'accepter est double. Premièrement un entretien d'embauche, où elle évoque son hobby: dessiner. Elle n'est pas retenue, mais la dame qui lui fait passer l'entretien lui dit clairement: " vous n'êtes pas la même, vous êtes bien plus vivante quand vous parlez de dessin, continuez dans cette voie, donnez tout". Ce soutien involontaire de la part d'une inconnue lui fait prendre conscience qu'il n'y a pas beaucoup de solutions: elle seule peut faire changer la situation qui lui déplaît.
La seconde étape cruciale est la découverte de services de prostitution lesbiens. Après tout, pourquoi pas, organiser un rendez-vous est facile, rapide, discret via une application... et même si son premier rendrez-vous ( et de fait sa première expérience sexuelle) est un fiasco, c'est aussi un pas vers l'acceptation. Elle est lesbienne, elle a le droit de l'être, même dans une société qui préfère ignorer leur existence.
Car au delà du sujet LGBT, c'est aussi la place des femmes dans la société japonaise qui est évoquée: le rôle traditionnel qu'on attend encore d'elle, la quasi-obligation d'arrêter de travailler quand on se marie et qu'on a un enfant, qui conduit à la spectaculaire baisse de natalité actuelle, puisque les femmes préfèrent rester célibataires sans enfant, que de devoir dépendre d'un mari, parfois encore choisi par les parents, ou par défaut. Mais paradoxalement la prostitution ( des femmes et des hommes, parfois d'individus très jeunes et pas encore majeurs)  y est répandue, au vu et su de tous ( j'ai vu de mes yeux de jeunes garçons et filles, des escorts, le soir en pleine rues de Tokyo faire la publicité d'un bar à hôtes ou à hôtesses), mais.. il ne faut pas en parler. Les magasins multicolores de préservatifs on pignon sur rue, mais les informations sur la prévention des IST et des grosses non désirées est proche du zéro.
Et plus généralement, il y a l'idée ( et c'est pareil en Russie ou en Hongrie) que si on ne parle pas d'homosexualité, ça détournera les jeunes de ces comportements, puisqu'ils ne sauront pas ce que c'est. Pire, en parler est considéré comme faire la promotion de comportements déviants et passible de prison dans certains pays.
L'hypocrisie sur ces sujets est énorme. Au Japon, elle n'est pas passible de prison, mais dans une pays où un proverbe dit " les clous qui dépassent appellent le marteau", tout comportement dans soit peut différent de celui attendu est socialement sanctionné. Les choses évoluent peu a peu mais en clair, un employé peut être mis au placard.. pour en être sorti!

Car le Japon n'est vraiment pas un pays où la différence est acceptée, et la différence même souvent à la marginalisation. Ici on parle du cas des Toyoko Kids ( attention, images violentes de bras scarifiés ou de jeunes ivres morts), adolescents désocialisés, rejetés par leurs parents, et qui n'ont souvent pas d'autre choix que la mendicité et/ ou la prostitution. Parce qu'ils sont différents, parfois atteints de maladies mentales (qu'on préfère cacher ou ignorer plutôt que de soigner), et n'arrivent pas à se couler dans les attentes d'une société hyper rigide où c'est "marche au même pas que les autres ou crève". Je suppose que bon nombre d'entre eux sont également des membres de la communauté LGBT mis à la porte par leur famille.

Le manga a d'ailleurs des suites.. que ne semblent pas franchement plus joyeuses que ce premier tome, mais qui ont le mérite d'aborder de front les problèmes sociaux: Boire pour oublier ma solitude, Journal de ma solitude, Solitude d'une guerrière errante. Je vais clairement m'y intéresser si je les trouve!

jeudi 17 avril 2025

La gameuse et son chat ( 8 tomes ) - Nadatani Wataru

 Et hop deuxième manga " feel good " dans la foulée du premier, cette fois avec un personnage adulte. Enfin, d'âge adulte... mais doté d'un centre d'intérêt que la société considère comme puéril, surtout pour une femme: une gameuse.





Et mine de rien, c'est une petite révolution à sa manière car son héroïne 29 ans au début, est une employée de bureau tout ce qu'il y a de plus ordinaire, si ce n'est qu'elle se distingue par son efficacité et sa rapidité. Riko Kozakura, surnommée " Zéro heure sup'" ( ce qui n'est pas un compliment au Japon où faire des heures supplémentaires est considéré comme un gage de sérieux.. mais personne  ne peut rien lui reprocher puisqu'elle arrive toujours à boucler son travail, sans erreur et donc... rien à redire), part toujours à l'heure. A la limite on lui reproche plutôt de ne pas participer aux presque obligatoires soirées post-travail, et comme personne ne sait rien de sa vie en dehors, les collègues se posent des questions. Pourquoi part-elle toujours si vite? Elle est toujours pressée, elle est plutôt jolie, il doit y avoir un homme qu'elle ne veut pas faire attendre..

Rein ne saurait être plus faux. Riko optimise son temps de travail et son temps de transport pour pouvoir geeker à l'aise chez elle en célibataire contente de l'être. C'est une gameuse hardcore. Du genre qui calcule ses activités à la minute près pour pouvoir consacrer tout son temps libre à jouer. Et dans tous les genres: du jeu casual sur téléphone jusqu'au MMORPG, de l'héroïc fantasy à la chasse aux pokemons, du jeu de combat à celui de gestion, elle kiffe tout! Et seule sa soeur est au courant de ce loisir considéré comme bien peu adulte et bien peu féminin. D'autant que physiquement, Riko est l'opposé du cliché de la geekette: une stricte comptable en tailleur.

Jusq'au jour où un chaton perdu est trouvé sur le parking de la société. Personne ne peut le prendre: le patron a déjà 3 autres chats, la collègue d'open space vit dans un immeuble où les animaux ne sont pas autorisés ( c'est courant au Japon), etc.. Et inexplicablement, Riko, qui n'a jamais eu d'animal de compagnie, tombe sous le charme de la boule de poils et l'adopte aussi sec.

Problème, elle est totalement noob en matière de.. tout ce qui n'est pas jeu. Qu'à cela ne tienne, elle va donc envisager la chose sous cet angle. Elle voit la croissance du chat comme de l'augmentation de niveau, son développement comme un gain de compétences, les passages à l'animalerie - où la vendeuse est une "PNG"- comme de l'équipement, les visites chez le véto comme des soins qui permettent de restaurer sa barre de vie et ses points de santé.
Et contre toute attente ça marche. Omusubi le chat ( un synonyme d'onigiri, à cause de sa tête triangulaire) est même ensuite doté d'un "compagnon de quête", nommé Soboro ( dont le nom désigne une sorte boulette de poulet à la sauce soja) et tous deux font une équipe d'exploration redoutable. Peu a peu le monde de Riko devient moins virtuel. Toujours aussi high tech, mais un peu plus tourné vers le vivant.

Et ses chats deviennent si important que, lorsque Riko se trouve contrainte de choisir entre ses chats et son travail ( la société déménage et il lui est impossible de trouver un appartement qui accepte les chats à une distance raisonnable de son nouveau poste, et dans son budget), ce sont les chats qui priment.

Une petite lecture à nouveau sans prise de tête mais, que ça fait plaisir de voir un personnage féminin à l'aise dans sa vie, qui assume ses loisirs différents, qui contre toute attente se fout totalement de la pression sociale et vit très bien son célibat de trentenaire qui n'a aucun projet familial. Et n'en fait pas une affaire d'état. Ce n'est ni un stress, ni une revendication, c'est juste sa manière d'être. Rien que pour ça, ça m'a beaucoup plu.

Le petit monde de Machida ( manga 7 tomes) - Andô Yuki

 Encore une série piochée un peu au hasard, à cause de son titre intrigant.
Je ne savais pas trop à quoi m'attendre, une comédie lycéenne probablement.

C'est un peu ça, mais pas tout à fait. Lycéen, oui, comédie, pas tellement même si certains passages sont souvent drôles.



Hajime Machida, c'est le type ultra banal, et déjà ça.. ce n'est pas très banal.

Un héros lycéen quelconque. aAu physique moyen. Avec des lunettes, qui font que tout le monde le prend pour un intello... alors que c'est un élève très médiocre qui peine à atteindre la moyenne.
Il est nul en sport. Il est nul en cuisine. Il n'a pas de hobby particulier. Il n'est doué en rien de spécial.
Bref, le mec ultra normal.
A une chose près, il est très observateur. Et gentil. Les deux caractéristiques additionnées font qu'il sait instinctivement quoi dire ou quoi faire pour remonter le moral à quelqu'un. Il est par exemple le premier à se rendre compte que la mamie du coin de la rue a changé de coiffure, et la félicite. Ou à se proposer pour aider une prof âgée à transporter des cartons. Où à aider un camarade harcelé.

Donc tout le monde l'aime bien  parce que c'est le type sympa. Au point d'avoir un succès incroyable avec les filles, alors qu'il est " quelconque", et... de ne même pas s'en rendre compte.
Car notre type lambda est aussi d'une naïveté absolue, qui pourrait en faire un pigeon ultime ( il manque d'ailleurs dans un des épisodes se faire rouler par une nana qui l'utilise pour rendre son ex jaloux, sauf que.. son sens de l'observation lui fait vite remarquer non qu'elle le drague, mais qu'elle n'a pas fait une croix sur celui qu'elle a pourtant plaqué).

Et dans la réalité, c'est bien souvent le cas: le mec gentil, serviable et naïf est pris pour un con par l'univers entier qui y voit la bonne poire.
Bon, c'est partiellement le cas: aîné d'une fratrie de 5, avec une mère enceinte du 6° enfant ( laquelle a un bon caractère, mais aucune imagination puisque ses enfants se nomment par ordre d'arrivé: un, deux, trois... Hajime signifie " premier"), un père scientifique qui revient 2 semaines en vacances juste le temps de faire l'enfant suivant à sa femme.. C'est sur lui que tout le monde compte. Au point d'être vraiment dépendants de ce grand frère "papa poule" (oui, c'est une référence que seuls les quadragénaires connaissent).
Et au fil des tomes, il va aussi faire la connaissance d'une camarade de classe qui est devenue totalement asociale depuis qu'elle a été victime... pas vraiment de harcèlement scolaire, mais plutôt d'ostracisme. Et pourtant la fille qui n'attend rien de personne va finir par se socialiser au contact de ce nouveau copain qui considère tout le monde comme sa famille. Attention spoiler qui n'en est pas un pour les nippophones, elle se prénomme "Nana", donc.. 7. Nom qui la classe d'office dans la liste des frères et soeurs, du moins de coeur, d'Hajime. Elle qui a une famille dysfonctionnelle et ne sait pas ce que c'est que la vie de famille a bien du mal à comprendre le fonctionnement de cette tribu qu'elle considère comme "un peu à l'ouest".

Un héros aussi gentil et naïf, ça augure de quelque chose d'un peu cucul-la-praline. Et honnêtement, ça l'est, parce que la simple vision de Machida par des inconnus agit sur eux comme un catalyseur, à la limite de la magie, et leur donne immédiatement envie d'être bons, généreux, de se rabibocher avec leurs proches, d'adopter des chiens abandonnés... j'exagère mais pas tant que ça.

Mais en filigrane il y a quand même des choses intéressantes qui transparaissent sur la société japonaise, via les personnages adultes: la mère au foyer qui attend son mari et délègue le soin des plus jeunes à ses aînés ( ce qui sous entend que ce n'est pas habituel, la femme doit tout faire à la maison dans la conception japonaise ) la tante qui n'ose se résoudre à dire qu'elle est stérile ( la honte dans une société où on attend d'une femme qu'elle soit épouse et mère), le fait que le fils aîné doive endosser un rôle de ère de famille alors qu'il a 16 ans., la prof de 40 ans qui son célibat fait complexe (au Japon, à 25 ans, une femme est périmée sur le marché du mariage), le col-blanc qui fait des heures sup' et se plonge tellement dans son travail qu'il ne voit pas que son couple bat de l'aile, les retraités que leur famille ne vient plus voir...

Il n'y a pas qu'au Japon que c'est comme ça, d'ailleurs, mais ce sont en tout cas des thèmes sociaux que l'auteur mentionne discrètement...et auxquels son anti héro sympa apporte une solution idéalisée.
Donc oui, du manga "feel good", qui ne va pas super loin dans la dénonciation, mais ça ne fait pas de mal une fois de temps en temps, une lecture légère et optimiste qui donne l'illusion que le monde ne va pas si mal . Et puis bon Machida c'est un peu le pote qu'on aimerait avoir: un peu naïf, mais sympa et surtout, ni calculateur, ni manipulateur. D'un naturel désarmant. Son seul problème est qu'il est si attentif aux autres qu'il ne l'est pas à lui même et est incapable de se connaitre vraiment... Et qu'il n'a pas un autre ami du même genre en face de lui pour l'aider à se trouver.
Donc il ne faut pas s'attendre à grand-chose, l'histoire est cousue de fil blanc, la fin se voit venir de loin ( et en même temps, tout autre fin n'aurait pas eu de sens), c'est un manga "gentil" et parfois ça ne fait pas de mal.
Et puis en résistant à la méchanceté globale, Machida ne serait-il pas plus punk qu'il en a l'air? ( ouais, non quand même pas)
Mais j'aime beaucoup cette idée que quand le monde entier est cruel, être sympa, c'est putain de punk!
Soyez des putains d'punks!