Non je n'en ai pas tout à fait fini avec les ravages de l'atome.. mais cette fois on fait un bond en avant jusqu'en mars 2011. L'auteur est un veilleur de temple ( je ne connais pas la hiérarchie bouddhique, je suppose qu'il s'agit soit d'un civil chargé de l'entretien courant du temple, soit d'un religieux assistant d'un bonze, je vois ça un peu comme un diacre dans le catholicisme) de la région de Fukushima, déjà écrivain avant la catastrophe, mais qui a ressenti le besoin d'écrire à ce sujet. Peut-être en se basant sur les récits qu'il a entendus des survivants accueillis dans son temple.
Le recueil compte six nouvelles d'ambiances très différentes:
la première, je traîne ton ombre, réaliste, se passe dans les premiers jours après le tsunami et met en parallèle des réfugiés qui tentent de survivre dans un refuge d'un côté, et un jeune diplômé devenu du jour au lendemain un paria, car il travaille chez Tepco. Le tout mis en relation avec la chanson un peu ringarde "minato machi blues".
La dernière, la montagne radieuse,se passe plusieurs décennies après la catastrophe dans une ambiance légèrement science fiction: après le tremblement de terre, le tsunami, et l'accident nucléaire, on apprend que Tôkyô s'est dépeuplée et que le mont Fuji est entré en éruption. Dans cette ambiance apocalyptique, le point de vue des gens à changé sur l'irradiation et des touristes font maintenant le tour des sites d'accidents nucléaires de la planète et viennent visiter les lieux, guidés par les descendants des victimes en espérant se gorger de radiations maintenant considérées comme bénéfiques pour la santé ( je suppose qu'il s'agit d'un clin d'oeil sarcastique aux Tchernobyl tour, circuits de visite de très mauvais goût en Ukraine)
Entre les deux, des récits qui vont en s'éloignant de la date du 11 mars 2011 qui mettent en scène différents aspects de la survie, souvent via les insectes, grillons, cigales, araignées d'eau ou mante religieuse, qui symbolisent la survie acharnée dans cette zone dévastée.
Dans les grillons, quelques semaines ont passé: Michihiko, fils déjà quadragénaire d'un bonze, vient de reprendre le temple où officiait son père, traumatisé par le fait d'avoir été emporté avec sa maison au fil de la vague et qui n'a survécu que par miracle. Mais maintenant incapable d'assurer le service. Michihiko se reconstitue une famille de fortune avec Aya, une femme qui pourrait presque être sa fille et qu'il a accueillie dans son refuge-temple-baraquement provisoire et Mii une petite fille tout aussi perdue qu'eux deux. C'est le retour des grillons qui va donner à ces trois survivants le courage d'affronter un futur qui s'annonce morose, dans un provisoire qui risque de durer.
Dans l'indignation de Kotarô, le petit Kotarô, 3 ans, est amené par sa mère au poste de police, pour procéder à un prélèvement ADN, qui pourrait être utile pour retrouver son père pompier, porté disparu depuis plus d'un an. Là aussi, après avoir hésité pendant un certain temps, la mère du petit garçon finit par accepter l'évidence: son mari ne reviendra probablement pas, letest ADN est une sorte de manière de fermer la parenthèse sur l'indécision , pour accepter et aller de l'avant.
Dans l'araignée d'eau, c'est Chiharu, partie depuis deux ans à Hokkaido avec sa fille, laissant son mari et sa meilleure amie Sayuri, par peur des radiations, qui revient au pays pour les fêtes d'O-bon. Elle n'a pas pu se mettre d'accord avec son mari, indécrottable optimiste qui refuse de quitter la région pour la rejoindre en prétendant qu'il n'ya rien à craindre.. La fête d'O-bon sera aussi l'enterrement de la relation de Chiharu avec son mari, ses amis et sa région d'origine.
Dans la mante religieuse, le sexagénaire Monsieur Yamaguchi s'est porté volontaire pour décontaminer les toits: il n'a plus rien à perdre, il a survécu au tsunami, alors qu'il était déjà malade d'un cancer, tandis que sa femme Seiko, encore jeune et en pleine forme est morte noyée. Sa seule consolation dans cette situation est de rependre une dernière fois son ancien métier d'organisateur de mariage pour son médecin traitant et d'organiser un mariage vraiment insolite, fait de bric et de broc, dans les baraquements de fortune où vivent le médecin et sa future femme en attendant la date prévue, il n'y a qu'une chose qui compte vraiment: aider la mante religieuse qu'il a trouvée dans son semblant de jardin à survivre le plus longtemps possible malgré les rigueurs de l'hiver dans la région de Sendai.
Ces nouvelles sont plutôt intéressantes par leur point de vue différents: selon le cas c'est l'inondation ou l'irradiation qui est au centre du problème. Les trois premières, les plus proches temporellement de la date fatidiques, sont plus axées sur le tsunami et les ravages immédiats, et pas si éloignées des témoignages dont je parlais au sujet de la bombe A. tant qu'on ne sait pas exactement ce qui s'est passé, ce sont les dégâts immédiats qui priment. La menace nucléaire concerne plutôt les trois suivantes, lorsqu'on prend conscience de la menace invisible, qui elle perdure alors qu'on tente de reconstruire après le passage du raz-de-marée. Il n'y a pas beaucoup de choix: la fuite ou le renoncement.
L'ensemble n'est pas sinistre. mais il est loin d'être joyeux. Je remarque cependant que, discrètement, l'auteur glisse ici et là dans la bouche de ses survivants des remarques assez acides sur le gouvernement et le mensonge. Auparavant il n'était pas de bon ton de contester au Japon les décisions gouvernementales, mais la contestation affleure ici et là.
Est-ce que la catastrophe de Fukushima va à son tour être à l'origine d'un nouveau mouvement littéraire, ou bien est-ce que des productions du type de celle -ci vont rester marginale, ou bien encore fusionner ( je n'aime pas employer ce mot dans ce contexte, mais je n'en vois pas d'autre) avec la littérature de la bombe A pour former une seule et même " littérature de l'atome"? Il est probablement encore trop tôt pour le savoir.
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